Être québécois et issu de l’immigration.

Dans cette revue d’actualité, nous sommes allés à la rencontre de 4 Québécois de 1re génération qui sont issus de l’immigration. Ils ont accepté de partager leur vécu dans leurs milieux éducatifs, l’histoire de l’immigration de leur(s) parent(s), des pistes de réflexion sur la notion d’identité qui apporte de nombreux défis dans la vie des Québécois (es) issus (es) de la diversité ethnoculturelle. Nous aborderons également, les défis liés à l’inclusion que de leur différence ethnique ou physique apporte dans leurs milieux éducatifs.

Ces témoignages ont pour objectif d’informer le personnel en éducation à l’enfance et les intervenants (es) qui œuvrent auprès des familles immigrantes sur les enjeux identitaires auxquels les Québécois issus de la diversité ethnoculturelle sont souvent confrontés dès leur plus jeune âge. Un des objectifs est d’adopter des pistes de réflexion sur cette notion d’identité. Cela permettra également de mettre en lumière l’importance d’inclure les différences ethniques et culturelles dans l’éducation des enfants afin qu’ils puissent développer leur plein potentiel dans des milieux harmonieux qui favoriseront leur bien-être.

Lettre de Norma

Témoignage d’une québécoise adoptée à l’international

(Norma a accepté de nous prêter son témoignage qui a été vu plus de 1000 fois sur Facebook.)


J’ai 5 ans, on peut me comparer à un élastique neuf. Je ne réalise pas encore que je suis différente. Non. En fait… Je ne réalise pas que le fait d’être différente, ça peut être un désavantage.

Quand on me taquine, je suis comparable à un élastique qui s’étire, mais reprend rapidement sa forme. Je suis jeune et j’ai une certaine souplesse, tolérance, face aux événements.

Par exemple, lors d’une fête Halloween, un monsieur m’a dit que mon déguisement de Geisha devrait être mon habit quotidien. Qu’enfin, je m’habille comme je le devrais. J’ai ri. Je ne comprenais pas, mais j’ai ri parce que les personnes riaient. J’avais environ 8 ans.

Mes camarades de classe étiraient leurs paupières et riaient de moi. Ils déformaient mon nom. Je riais, mais je pleurais aussi. Cela devenait peu à peu difficile pour moi de vivre tout ça. J’avais 12 ans. Je n’avais plus de nom. J’étais « la Chinoise » ou « la fille asiatique ». Je me détestais. Mon élastique, si je puis le dire ainsi, reprenait de moins en moins sa forme initiale.

Chaque année, sans exception, les gens me demande d’où je viens. C’est comme si cette différence est plus importante que la personne que je suis réellement.

Petite, je regardais mes parents, mes grands-parents, ma famille balancer mes origines à tous ceux qui le demandaient, comme une histoire banale, comme quelque chose qui ne m’appartient pas primordialement. Rendue adulte, j’ai repris le même manège docilement lorsqu’on m’interpellait à ce sujet. Je me croyais polie de répondre, je donnerais à un étranger une partie de mon histoire sans en attendre une de leur part. Comme un bar à salade où tout le monde se sert par réflexe plus que par intérêt.

À des funérailles, on m’a demandé si j’aimais le Canada. Je n’ai pas su quoi répondre, car je n’avais pas des verdicts à ce sujet. J’avais environ 13 ans.

Un jour dans une clinique une dame m’a dit qu’elle a adopté, avant d’avoir des enfants « à elle, cette fois ». On m’a même dit « je suis contre l’adoption », « si j’étais toi, je retrouverais mes vrais parents ». On me  » tord » dans tous les sens avec des opinions agressantes.

Une autre fois, j’étais à Toronto avec un ami blanc. Il m’a demandé si je me sentais enfin comme chez moi puisqu’il y avait beaucoup d’Asiatiques dans la ville. J’avais 14 ans.

Les gens me parlent aussi de sushis, de la Chine, de la Thaïlande, du Japon. On me dit « J’ai déjà sorti avec quelqu’un comme toi. », « Je ne suis pas intéressé par les Asiatiques » « J’ai des amis pareils que toi », « Moi, je… » « Si j’étais toi, je », « Je connais… », etc.

Les personnes me rappellent souvent ma différence au travers des conversations. Les voyages faits, les plats mangés, les relations formées, tant de choses sont jetées à ma figure comme si cela pouvait me valider, me rassurer que mon existence a été enfin résolue par la leur. Comme si je n’existe pas sans eux.

J’ai 20 ans, je travaille dans une résidence pour personnes âgées. Je n’ai toujours pas de nom. Je suis « La petite chinoise ». On me demande de « repasser », on me demande si j’aime mieux le Canada à mon vrai pays, et une femme me présente comme étant « son adoptée » à tous les employés qu’elle rencontre. Je suis une chose.

Un de mes collègues s’amuse à dire Ping Pong dès qu’il me voit où voit d’autres asiatiques. Il se défend qu’il n’est pas raciste, c’est des jokes. Je suis une joke.

Plus vieille, je travaillais pour une salle de spectacle et chaque client venant acheter un billet s’enquiert de mes origines en composant leur NIP dans la machine. Je suis une transaction.

J’ai ensuite changé d’emploi. Je travaillais dans un centre d’appel gouvernemental. Je revenais du Japon, j’étais enfin heureuse d’avoir pu être un semblant d’humain à l’étranger avant de redevenir un produit exotique chez moi. Mais tout a recommencé. Onze personnes différentes en 1 an m’ont demandé d’où je viens, sans contexte, sans gêne. Maintenant, je ne réponds plus. Mes origines sont désormais, à ma discrétion.

Un homme m’a déjà demandé « mon vrai nom », parce que je ne peux pas être Norma. Juste Norma.

Une femme a ri devant moi d’un personnage asiatique nommé Irene parce que « Ils s’appellent tous Ching Chong ».

Une dame me dit : je ne suis pas raciste, je demande d’où tu viens parce que tes yeux sont bridés. Parce que tu as l’air différente. Parce que tes yeux sont en amande.

Trois (3) excuses l’une à la suite de l’autre. La dame voulait juste s’assurer que je ne pense pas qu’elle soit raciste. Elle m’a dit tout ça dans cet ordre, je vous le jure. Et s’en suit une énumération des Japonais qui sont si polis, des Chinois qui sont si horribles, et des musulmans qui maltraitent leurs femmes. Mais on est jamais raciste. On est trop Québécois de souche pour avoir le temps d’être autre chose.

Mon élastique… il s’est effrité comme si on l’avait laissé trop longtemps au soleil. Un soleil raciste.

Je pars pour le Japon, parce que je suis épuisée de me battre contre mon propre visage qui attire les commentaires, les farces, les opinions. J’ai besoin de cette pause. J’ai besoin d’être « la fille » sans l’ « Asiatique ». J’ai besoin d’être « Norma » avant d’être « la PETITE chinoise ». J’ai besoin d’être invisible en étant réellement visible. J’ai besoin de cesser d’être ce sous-produit humain qui n’existe que dans les fantasmes et dans la curiosité de la majorité.

Et ce besoin, les blancs ne l’auront jamais. Et ce sont eux qui disent qu’ils ne voient pas la couleur. Cette couleur me définit, elle est la cause de mes expériences, de mes traumas, de mes joies et de mes peines. Si tu ne la vois pas. Tu ne me vois pas. Point.

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