Témoignage :J'ai cinq (5) ans. Je suis en âge de m'exprimer. Mais je ne le fais pas. J'ai le gros motton. Le personnel de l'orphelinat laisse aux enfants plus âgés la responsabilité des plus jeunes. J'ai à ma charge deux (2) bébés. Je choisis de les nourrir et de m'occuper d'eux. Je sais qu'ils souffrent eux aussi. Ils souffrent de l'abandon. À leurs yeux, j’ai l’impression d’être une personne spéciale et utile. Je les comprends et ils me comprennent. Cependant, je n’arrive pas à exprimer ce que je ressens. Quelques mois plus tard, le personnel de l'orphelinat m'annonce que je dois partir pour le Canada. Qu'est-ce que le Canada ? Une fleur? Une orange? Je ne dis rien. Je ne pleure pas. Un jour, deux (2) étrangers viennent me chercher à l'orphelinat. Ils parlent l'anglais. Je parle le créole. Ils m'accompagnent dans l'avion jusqu'au Canada. À l'aéroport, je découvre pour la première fois ceux qui allaient devenir ma nouvelle famille. Celle qui allait devenir ma mère me tend un «coke» ; une boisson pétillante. Je n'ai jamais bu de coke. Le goût est étranger ; son pétillement et sa saveur sucrée ne me reviennent pas. En me dirigeant vers l’extérieur, il fait froid. Sur le sol, je découvre un dépôt blanc. On m'explique qu'il s'agit de la neige : j'ai pensé, à ce moment-là, que c’était du sucre. Les odeurs ! L’effet de nouveauté augmente les sensations olfactives et les autres sens ; le tout m’est apparu plus intense. L’odeur des quatre saisons, la nourriture, l’humidité, etc. : chaque nouvel aliment dégage une odeur différente, ce qui m’empêche d’avoir faim. Ma mère s’inquiète pour mon alimentation ; elle croit que je n’en mange pas assez. J’ai seulement besoin de temps : un temps d’adaptation. À six (6) ans, je rentre dans une classe d'accueil pour apprendre le français. J'écoute et j'observe tout ce qui se passe autour de moi sans dire un mot. Je suis terrifiée. À sept (7) ans, je rentre en classe ordinaire pour la première fois. Mon français est OK. Restent les mathématiques, l'écologie, la géographie, les sciences physiques, l'anglais, etc. J'ai peur de ne pas répondre aux attentes de mes professeurs et de mes parents. Je fais de mon mieux pour réussir et pour m'adapter à toute cette nouveauté et les changements. À huit (8) ans, on me pose des questions sur mes cheveux, mes origines et ma couleur de peau. J'assiste pour la première fois à mes premiers questionnements identitaires. Au secondaire, je cherche un groupe avec lequel je peux m'identifier. Je m'identifie davantage à la culture québécoise, mais j'ai envie d'en apprendre plus sur mes origines haïtiennes. Je cible un groupe qui clame haut et fort leurs origines haïtiennes. Même si la plupart d'entre eux sont nés et on grandit au Québec, aucun d'entre eux ne parle en bien de la culture québécoise. Je ne partage pas les mêmes propos du groupe. Mais je les comprends. Sommes-nous des Québécois? Au Cégep, je suis perdue. Je me sens comme une impostrice dans la société qui m'a vu grandir. Je me demande si j'ai le droit d'exercer telle profession ou non. Je me demande si je suis légitime pour occuper tel poste. Mes amis québécois de souche avec lesquels j'ai grandi n'ont pas eu cette réflexion. J'ai choisi la carrière d'éducatrice à l'enfance par ce que je me sens bien avec les enfants; avec eux, je me sens à ma place et en sécurité. Dans les services de garde éducatifs à l'enfance (SGÉE), je découvre un terrain extraordinaire ou les enfants peuvent se développer sainement et en toute confiance dans leur milieu. J'accueille des enfants nés au Québec, issus de l'immigration et avec du soutien particulier. Mais je ne peux m'empêcher de penser à la construction identitaire que ces petits Québécois et Québécoises issus de l'immigration auront à porter sur leurs épaules à un bas âge. Une construction identitaire qui est beaucoup trop lourde de sens et abstraite pour un enfant. À l'université , je choisis de suivre une formation en immigration et les relations interethniques pour obtenir des réponses sur ma propre construction identitaire qui est devenue un poids insupportable depuis la période de l'enfance . Dans le cours en droit de l'immigration, j'appends les différents statuts d'immigration, la loi canadienne de l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et la loi sur la citoyenneté. Ce cours m'a appris que je ne suis pas une immigrante, mais une citoyenne canadienne par adoption. Et que les enfants nés en sol canadien sont des citoyens canadiens. Je rentre dans un cours en sociologie du racisme, et je comprends que le racisme est un des facteurs qui contribuent à alourdir la construction identitaire chez les enfants issus de l'immigration. Puis, je rentre dans un cours en méthodologie du travail social, ou je mobilise une petite équipe de travail afin d'aborder les questions identitaires chez les Québécoises et les Québécois de première génération. Nous sommes en 2016, et les rapports de recherches portent principalement sur les immigrants de première génération; sur les adolescents et les adultes nés à l’extérieur du Canada. Et non sur les enfants nés au Québec ou arrivés en bas âges. Le problème se trouvait là. Les intervenants et les travailleurs sociaux considèrent les enfants issus de l'immigration, pour la plupart, comme des immigrants et non comme des Québécois et des Québécoises de première génération. Je suis désormais déterminée à mettre sur la carte les Québécoises et les Québécois de première génération, et à partager le processus d'adaptation et la construction identitaire des enfants auprès des services de garde éducatifs à l'enfance (SGÉE). L'un des premiers lieux où les enfants intègrent la société québécoise et canadienne. En 2021, j’ai fondé Couleurs d’enfants : la clé de l’intégration, un OBNL qui permet aux enfants issus de l’immigration ou aux Québécoises et Québécois de première génération d’exprimer leurs défis d’adaptation et identitaire. En tant qu’éducatrice à l’enfance et fondatrice, mon rôle est de partager leurs voix auprès de mes collègues en éducation à l'enfance et des milieux éducatifs afin que les enfants se sentent entendus, moins seuls et mieux soutenus par leur milieu. On ne peut pas prévoir comment l’enfant va traverser le processus d’adaptation ; toutefois, les environnements éducatif et familial peuvent contribuer à l’aider à comprendre son cheminement et ses défis pour mieux l'accompagner et l’aider à surmonter les obstacles qui se présentent à lui. Cette histoire vous interpelle et vous désirez contribuer à la mission de Couleurs d'enfants : la clé de l'intégration en devenant bénévole, membre ou en faisant partie du CA, contactez-nous à [email protected] |
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